Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le beuuug des idoles
16 mai 2006

Hahaha

"Dans certains pays en développement, la corruption fait partie de la vie quotidienne, qu'il s'agisse de pots-de-vin pour obtenir un passe-droit ou une autorisation, ou de détournements de fonds publics. Si les affaires retentissantes (les millions de Mobutu, le scandale du programme de l'ONU «pétrole contre nourriture» en Irak) attirent davantage l'attention, cette corruption au quotidien affecte aussi profondément le fonctionnement de la société. Elle est généralement considérée comme une gangrène, mais certains commentateurs y voient un bienfait. Ainsi, Samuel Huntington pouvait-il écrire: «En termes de croissance économique, la seule chose qui est pire qu'une société avec une bureaucratie rigide, trop centralisée, et malhonnête est une société avec une bureaucratie rigide, trop centralisée, et honnête.» Selon lui, la corruption mettrait de l'huile dans les rouages grippés par une réglementation excessive.

Si c'était effectivement le cas, les pots-de-vin et les passe-droits n'auraient effectivement que des effets bénéfiques. Mais ils seraient nocifs pour la société s'ils amenaient la violation de règles importantes. Une équipe de chercheurs a étudié cette question dans le contexte de l'obtention de permis de conduire à Delhi, la capitale de l'Inde. La réglementation officielle est destinée à s'assurer que seuls ceux qui savent conduire obtiennent leur permis. La corruption conduit-elle à donner leur permis à des conducteurs incompétents, ou ne sert-elle qu'à accélérer le processus pour ceux qui savent conduire ?

Pour le savoir, les chercheurs ont contacté 800 candidats au permis de conduire. Ils les ont répartis en trois groupes, au hasard. Au premier groupe, ils ont offert des leçons de conduite gratuites. Les membres de ce groupe conduisaient donc mieux que ceux des autres groupes. Au deuxième groupe, ils ont promis une récompense importante s'ils arrivaient à obtenir leur permis en trente et un jours, un jour de plus que le minimum légal entre la première démarche et l'obtention du permis. Les membres de ce groupe avaient donc une bonne raison de vouloir obtenir leur permis rapidement. Le troisième groupe sert de groupe témoin.

A la fin de l'étude, ils ont administré un test de conduite aux 800 candidats. Les résultats sont terrifiants pour quiconque pense prendre une voiture à Delhi : à la fin de l'étude, 76 % de ceux à qui une récompense était promise pour obtenir le permis rapidement l'avaient obtenu (contre 59 % dans le groupe de comparaison). Ils l'avaient obtenu en moyenne en trente jours, contre quarante-huit jours dans le groupe témoin. Mais ce n'est pas en apprenant à conduire qu'ils y étaient parvenus : à la fin de l'étude, 69 % d'entre eux ne savaient absolument pas conduire (la même proportion que dans le groupe témoin ; heureusement, les chercheurs ont offert des leçons gratuites à tous les participants à la fin du projet !). Parmi ceux à qui des leçons gratuites avaient été offertes au début du projet, 89 % savaient conduire. Malgré cela, la proportion de ceux qui avaient eu le permis était la même que dans le groupe témoin, et ceux qui l'avaient eu avaient dû attendre en moyenne cinq jours de plus, sans doute parce qu'ils avaient refusé de payer les pots-de-vin nécessaires. Dans ce cas, la corruption vide donc entièrement de sa substance une règle importante. Elle pervertit le système jusqu'à ce qu'il ne fasse absolument plus de tri entre ceux qui savent conduire et ceux qui ne savent pas.

Si la corruption est nuisible, comment la combattre ? La méthode traditionnelle consiste à contrôler les fonctionnaires, et à les sanctionner si ces audits révèlent des malversations. Une alternative est d'impliquer les citoyens eux-mêmes dans le contrôle de la corruption. Ben Olken, un jeune chercheur de Harvard, s'est posé la question de l'efficacité relative de ces deux méthodes. Le projet concernait 600 routes de campagnes financées par la Banque mondiale en Indonésie, et construites sous la supervision de comités locaux, corrompus de notoriété publique. Dans 300 villages, le comité a été informé que le projet serait audité régulièrement, et que les résultats seraient rendus publics. Dans 300 villages (choisis en proportion égale dans les villages avec et sans audit), les villageois furent invités personnellement aux réunions publiques d'information sur le projet, et à soumettre des commentaires anonymes. Pour mesurer la corruption, une équipe d'ingénieurs perce des trous dans les routes, et compare les matériaux (et les heures de travail) vraiment utilisés aux rapports fournis par le comité du village. En moyenne, dans les villages sans audit, 27 % des matériaux et du travail prétendument utilisés manquent à l'appel. Dans les villages audités, la proportion tombe à 19 %. Elle diminue tout particulièrement dans les villages audités où une élection est prévue. En revanche, il ne semble y avoir aucune différence entre les villages où la participation des citoyens a été encouragée et les autres.

La corruption mine la société en rendant ses règles ineffectives. La pression populaire et la peur de l'opprobre peuvent limiter la corruption, mais elles ne sont pas suffisantes pour la débusquer. Il est important d'allouer des ressources indépendantes à la détection de la corruption (et, comme l'histoire récente nous le montre, de ne pas compter sur les citoyens et dénonciations spontanées...)."

Esther Duflo est professeure au Massachusetts Institute of Technology (paru dans Libe, 15 mai)

Publicité
Publicité
Commentaires
C
Malheureusement ce constat est juste!
Y
Vraiment bon mais inquietant tout de même!
L
tu sais très bien à quoi t'en tenir, ma p'tite tartine d'eczéma
M
vas-y developpe, sait-on jamais...
L
rentre avant fin juillet, y'a stage débauche en France, pas la peine de partir en Thaïlande
Publicité